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Le quartier le plus cher du monde : Monaco repousse ses frontières sur la mer avec un projet de 600 millions d’euros


Au lever du soleil, un splendide ciel, rosi par la lumière automnale de la Côte d’Azur, s’engouffre délicatement à travers les baies vitrées du « Renzo » et sa façade métallique blanche. Le nouvel immeuble de 62 m de haut et 125 m de long, baptisé ainsi en hommage à son créateur l’architecte italien Renzo Piano, semble flotter sur ses spectaculaires pilotis. Ses côtés sont suspendus dans le vide. Entouré de bassins et d’une marina où dorment quelques splendides bateaux, l’édifice spectaculaire est le symbole à lui seul du nouveau quartier « Mareterra » construit sur la mer à l’est de Monaco, après des travaux titanesques… même pas interrompus par la crise sanitaire du Covid-19. Et qui pourraient faire pâlir de jalousie les projets les plus fous à Dubaï, champion jusque-là des constructions pharaoniques.

Inauguré ce mercredi par le Prince Albert II devant 200 invités triés sur le volet, avec six mois d’avance sur le calendrier initial, le site de six hectares fait grandir de 3 % la petite principauté de 2 km2. « L’équivalent d’un département pour la France » s’amuse à dire Guy-Thomas Levy-Soussan, administrateur délégué de l’Anse du Portier, promoteur de cette réalisation hors norme.

De la verdure

Au royaume de la démesure, le nouveau site réalisé, entre autres, par le cabinet Valode et Pistre Architectes, qui comprend notamment 110 appartements, dix villas totalement cachées des regards du commun des mortels, quatre maisons de ville, un petit port et des commerces, bouscule les records de l’immobilier. Le prix pour se loger dans le quartier serait en effet le plus cher au monde a récemment écrit le Financial Times. Si parler d’argent est un tabou sur place et ne reçoit qu’un silence gêné en guise de réponse, plusieurs sources tendent à confirmer que le tarif du mètre carré aurait en effet atteint les 100 000 euros m2, voire 120 à 150 000. Pas de quoi refroidir les ardeurs : la grande majorité des biens, voire la totalité, serait déjà vendue même si aucun propriétaire n’a encore posé ses valises sur place. Certains auraient même acheté un bien dès le lancement du projet pour le revendre immédiatement et faire une juteuse plus-value.

En arpentant le quartier, ordonné, aéré, loin d’une urbanisation dense et hétéroclite qui faisait parfois la signature de Monaco ces dernières décennies, une chose est frappante : le minéral de la longue Promenade du bord de mer, en pierre claire, où un espace de méditation public baigné de quartz roses est accessible aux visiteurs, alterne avec une verdure méditerranéenne généreuse et un parc d’un hectare. « Il y a environ 1 100 arbres, certains ont déjà trente à quarante ans. Ils ont été acclimatés sur un terrain spécial pas loin avant d’être plantés ici » détaillent les instigateurs de Mareterra. « Ce n’est pas de la décoration, ni un jardin en bacs, explique Michel Desvigne, star française du paysagisme, avant de faire découvrir le sommet d’une colline qui deviendra, en toute simplicité, « une clairière perchée ». « Le grand enjeu c’était de faire un sol fertile sur 30 000 m2. C’est très important en matière climatique », ajoute-t-il.

De retour sur la place centrale, un chef-d’œuvre restauré d’Alexandre Calder, « Les Quatre Lances » trône au milieu d’un bassin sombre. Difficile d’imaginer qu’il y a quelques années, la mer était là jusqu’à 50 m de profondeur. Difficile également de se rendre compte des prouesses techniques et d’ingénieries déployées. Il a notamment fallu acheminer, en bateau, dix-huit caissons de béton, équivalent à des immeubles de sept huit étages, pour constituer la ceinture de Mareterra. Une fois que ces blocs géants ont été posés, les poissons ont été pêchés par des associations de la région et l’eau vidée pour remplir de sable, constituer le sol, inséré un millier de pieux, et faire les dalles. Simple sur le papier. Et un casse-tête pour les bâtisseurs contraints de prendre en compte les aléas sismiques et de remonter les constructions afin d’anticiper la montée inévitable du niveau de la mer liée au réchauffement climatique.

« Nous n’ignorons pas que les mers vont mal et qu’il faut les protéger »

Mais derrière la vitrine aussi alléchante et inaccessible soit-elle, cette intrusion massive de béton et d’humain sur la Méditerranée est-elle bien raisonnable à l’heure où la planète brûle ? Des associations avaient ferraillé contre au début du projet. Elles ont lâché l’affaire. « La biodiversité marine a été massacrée. On ne peut pas compenser 60 000 m² de petits fonds qui ont été recouverts « , a récemment indiqué un chercheur dans le journal Libération.

Dans la principauté, coincée par un territoire exigu et ses besoins de développement « et qui ne pouvait pas aller envahir l’Italie ou la France », plaisante le promoteur, on assure mordicus que tout a été fait comme jamais sur une telle réalisation. « C’était une exigence du Prince. Il avait refusé une précédente extension ne répondant pas aux critères environnementaux », assure le promoteur. « Nous n’ignorons pas que les mers vont mal et qu’il faut les protéger. Nous avons dû déployer des trésors d’ingéniosité même s’il n’y a aucune solution parfaite », argumente de son côté Céline Caron Dagioni, ministre de l’Équipement, de l’Environnement et de l’Urbanisme. Concrètement, des scientifiques, des experts scientifiques, des biologistes marins et plongeurs ont été mobilisés tout au long des travaux. 500 m2 de posidonie ont été transplantés, des relevés effectués régulièrement ainsi que des mesures de protection préventives des réserves marines voisines du Larvotto et des Spélugues. Des corridors et des habitats pour les poissons sont créés. Les façades des caissons XXL ont été rainurées à la main afin que la vie s’y accroche. Des analyses seront menées régulièrement pour le suivi à long terme promet-on.

Mareterra, qui se revendique comme un modèle d’écoconception, est aussi une affaire de business et de développement économique. La facture totale s’élève à 2 milliards d’euros entièrement financés par des fonds privés, en particulier de familles monégasques comme les Pastor, Brianti ou Casiraghi. En lançant cette opération, l’Etat « bénéficie de 20 % de TVA immobilière sur toutes les ventes de bien, une soulte versée par le développeur et des droits d’enregistrement sur les ventes » ainsi que de nouveaux équipements publics telle qu’une extension de son centre de congrès et d’exposition, le Forum Grimaldi, un nouveau parking et une attractivité touristique accrue.

Si c’est la huitième fois de son histoire que Monaco repousse ses frontières en annexant un bout de Méditerranée, ce sera probablement la dernière a laissé entendre, mercredi, le souverain lors d’un bref discours avant de couper le ruban avec son épouse la princesse Charlène et ses enfants Jacques et Gabriella. Notamment en raison de la présence de sites naturels très protégés et parce que les moyens à mettre en œuvre ne pourront pas être reproduits facilement. « Entre Fontvielle (NDLR : une précédente extension en mer dans les années 1970) et Mareterra, dit Guy-Thomas Levy-Soussan, il y a un bond technologique équivalent à celui entre un téléphonique fixe et un iPhone 15. » À ce prix-là, il ne faut pas de friture sur la ligne.

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