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En Normandie, ces agriculteurs bios qui misent sur la restauration collective pour se refaire une santé


« Nous ne pouvons pas être les seuls à financer la transition agroécologique ! » C’est le cri du cœur lancé lundi 19 février Stéphanie Maertens, aux élus et responsables locaux venus rencontrer les agriculteurs bios à la ferme de la Mésangère, à Sainte-Marie d’Attez, dans le sud de l’Eure. Maraîchère et coprésidente de Bio en Normandie, qui réunit 400 agriculteurs bios parmi les quelque 3 000 recensés en Normandie, la porte-parole a dénoncé « un manque de volonté publique » et déploré une « mauvaise structuration des filières ».

Une situation « franco-française » qui explique selon elle la crise que traverse l’agriculture biologique depuis l’après Covid quand, en Allemagne, en Autriche ou en Italie, la consommation est « repartie à la hausse dès le second semestre 2022 ». La Fédération nationale de l’agriculture biologique (FNAB) avait appelé les agriculteurs à se rassembler mercredi 7 février devant le Palais-Bourbon. Déplorant « un abandon » du bio dans les annonces du Premier ministre Gabriel Attal en réponse aux manifestations agricoles de janvier, la FNAB réclame une aide à hauteur de 271 millions d’euros pour compenser les pertes dans le secteur bio, estimées à 550 millions d’euros sur deux ans, contre les 50 millions annoncés fin janvier par le gouvernement.

La filière appelle aussi au « maintien des normes environnementales, mais avec des contrôles davantage destinés à accompagner qu’à sanctionner », rappelle la coprésidente de Bio en Normandie, Stéphanie Maertens. Enfin, pour mieux valoriser les pratiques des producteurs bios en matière de préservation de l’environnement, la FNAB réclame une rémunération pour les services environnementaux et sanitaires rendus à hauteur de 145 euros par hectare et par an. « Aujourd’hui, je touche 700 euros par an, ça représente un plein de ma moissonneuse », rappelle Romain Wittrisch, exploitant céréalier des 115 hectares de la ferme des Mésangères, dont les champs se bordent de haies nouvellement plantées.

Né en région parisienne, il s’est installé en 2019 dans la ferme de la Mésangère, reprenant l’exploitation céréalière qu’Yves Vanhoecke avait convertie à l’agriculture biologique il y a plus de 20 ans. « On a travaillé pendant 8 ans pour préparer cette transmission, à une époque, en 2015-2016, où il y avait une bonne dynamique autour du bio », raconte Romain. Avant de constater : « Je fais partie de cette génération qui va permettre de renouveler les exploitations mais j’ai autour de moi aujourd’hui beaucoup de producteurs, pourtant convaincus par le bio, qui songent à retourner en agriculture conventionnelle ». Il a d’ailleurs conservé un emploi à plein temps, en plus de son activité à la ferme, faute de rémunération suffisante. En cause, une baisse de près de 40 % des prix du bio, ramenant la tonne de céréale à un niveau proche du prix conventionnel, mais avec un rendement deux à trois fois inférieur en agriculture biologique.

Pour lui comme pour de nombreux producteurs bios, c’est du côté des débouchés que ça coince. Malgré la mise en place d’EGalim, qui impose à la restauration collective un minimum de 20 % de bio parmi les 50 % de produits durables et de qualité, les premières déclarations reçues sur ma-cantine.agriculture.gouv.fr montrent que les cantines se situent bien deçà des exigences attendues, avec « 17 % des cantines qui respectent EGalim et 3 % de bio » seulement sur le département de l’Eure. « On aura des chiffres plus précis au 31 mars », promet le préfet de l’Eure Simon Babre qui reconnaît qu’il reste à mener un « énorme travail de pédagogie ».

Du côté des producteurs, le problème des débouchées n’est pas lié au prix des produits bios mais plutôt aux usages. « C’est 80 % des repas en bio qui partent à la poubelle par manque de stratégie d’approche », déplore le maire de Sainte-Marie-d’Attez, Patrick Brault. En cause, l’éducation culinaire des enfants, mais aussi des cuisiniers qui se retrouvent du jour au lendemain à devoir composer avec des produits dont ils n’ont pas forcément l’habitude. « Il ne faut pas qu’il y ait de violence, les cuisiniers sont partants », assure pourtant Patrick Brault. « On brusque les gens car on les met en difficulté alors qu’ils n’ont pas les outils » pour travailler les produits bios.

À quelques kilomètres de là, Benoît Dorchies élève des porcs et de la volaille à la ferme bio des Lyres. La restauration collective, il s’y confronte depuis plusieurs années, souvent en passant en dehors des appels d’offres, jugés parfois impossibles à remporter lorsque basés sur de mauvais critères. « C’est difficile de rentrer dans la restauration collective, mais une fois qu’on y est, si on ne change pas d’interlocuteur, ça marche », témoigne-t-il. Lui a choisi de fonctionner avec des colis de viande. « Lorsque la cantine me commande des chipos, je propose le reste de mon animal à ma clientèle en vente directe », explique-t-il. Une démarche « qui prend du temps », reconnaît l’éleveur dont les parents approchent de la retraite.

Faute de légumeries, d’industries de transformation intermédiaires, pour, par exemple, produire des pâtes à partir des céréales cultivées localement, ou de place nécessaire pour travailler les céréales ou stocker la viande dans les cuisines, les cantines se retrouvent trop limitées. « Et quand on fait des journées 100 % bios, c’est une erreur, car on n’arrive pas à avoir des produits d’ici », reconnaît Stéphanie Maertens. « Approvisionner 20 % de bio dans les cantines ça ne se fait pas en claquant des doigts », souligne Frédéric Goy, directeur de la coopérative Biocer. En difficultés financières, cette coopérative céréalière a bien failli être absorbée par un grand groupe agroalimentaire avant de décider, in extremis, de rester indépendante. Mais les comptes n’y sont pas et, pour répondre à la demande de la restauration scolaire, « Biocer doit investir », convaincu qu’il y a là une sortie de crise pour l’agriculture biologique. « Si, dans l’assiette de nos écoliers, on pouvait retrouver des produits qui viennent de quelques kilomètres, on atteindrait nos buts ».

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