Le distributeur de tampons et de serviettes hygiéniques installé à la faculté de médecine, Manon sait où le trouver. « Il me sert de dépannage : si j’ai oublié mes propres protections ou si j’ai mes règles de manière imprévue », explique l’étudiante de 23 ans en quatrième année. Oui mais voilà, depuis la rentrée, Manon n’a pu l’utiliser qu’une seule fois. « Tout était plein en septembre mais maintenant, la plupart des distributeurs sont vides. Je n’arrive pas à savoir s’ils sont rarement rechargés ou si ça part très vite. En fait, je ne comprends pas trop comment c’est géré… »
Les distributeurs de protections périodiques gratuits et en libre accès, la grande majorité des universités en possèdent au moins un. C’est en tout cas ce qu’indique leur site Internet : on y vante la démarche pour lutter contre la précarité menstruelle, l’utilisation de protections biologiques et biodégradables pour respecter l’environnement ou encore, une façon de lever le tabou des règles.
Mais derrière ce dispositif, annoncé dès 2021 par l’ancienne ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, se cachent encore de grandes disparités. Fautes de moyens, toutes les étudiantes ne semblent pas logées à la même enseigne.
Des distributeurs désespérément vides
« Les deux seules fois où j’en ai eu besoin, il n’y avait plus rien », admet Nina, étudiante en master de droit dans une université parisienne. Celle qui est aussi présidente d’une association féministe le sait, selon les campus de son université, tous les distributeurs ne sont pas correctement remplis. « Sur certains sites, les retours sont particulièrement négatifs », pointe-t-elle.
Pour l’Unef, rien de très étonnant. « Lors de la mise en place en 2021, les distributeurs étaient plutôt bien remplis, mais ce n’est plus le cas. On a le sentiment que ce n’était qu’un coup de com », avance Hania Hamidi, secrétaire générale de l’association étudiante. À la Fage, on dénonce aussi l’emplacement des distributeurs.
« Ils sont souvent installés dans les toilettes des filles, c’est donc très genré comme raisonnement, pose Elisa Mangeolle, la porte-parole. Sachant en plus qu’il n’y en a pas dans toutes les toilettes et qu’il faut parfois faire plusieurs étages pour en trouver un, voire changer de bâtiment. »
Un avis partagé par l’association Main violette à l’université de Caen. « C’est très insuffisant : il y a un distributeur dans les toilettes du RU mais il n’est ouvert que le midi. En plus d’être vides, il n’y a pas assez d’endroits pour en trouver », assure Théo, membre de l’association.
Une logistique qui a un coût pour les universités
À Caen, les étudiants avaient même mis en place leur propre système de boîte à protections périodiques, en les remplissant eux-mêmes pour pallier le manque d’investissement de l’université. À l’origine pourtant, le dispositif devait être géré par les Crous mais au fil du temps, la gestion a été déléguée aux universités, principalement aux services de santé universitaires, ou bien directement aux associations étudiantes.
L’année dernière, Nina s’occupait elle-même de l’approvisionnement des distributeurs dans sa fac. « On avait un roulement entre associations et chaque semaine, on récupérait le matériel et on remplissait les distributeurs. Selon les périodes de l’année, pendant les examens par exemple, c’était moins bien rempli. » Depuis la rentrée, l’université a repris les choses en main.
15 000
euros par an
coût des protections pour l’Université Paris-Nanterre
Une organisation parfois bancale qui tient surtout à un manque de moyens financiers et humains au sein des universités. À l’université Paris Nanterre, c’est la mission égalité et non-discrimination qui s’est emparée du sujet. Depuis 2022, 36 distributeurs ont été installés à l’extérieur des toilettes, un par bâtiment, au rez-de-chaussée pour assurer l’accessibilité. « Nous souhaitions une vraie stratégie pour que le dispositif soit pérenne », appuie Nicolas Bourbon, vice-président égalité. La première année, en comptant l’installation des distributeurs, le dispositif a coûté 45 000 euros.
Désormais, le coût des commandes de serviettes hygiéniques et de tampons revient à 15 000 euros par an. Le tout est entièrement financé par la CVEC, payée par les étudiants à chaque rentrée. « Le principal souci, c’est le financement. Si la mission n’avait pas été intégrée aux dépenses de la CVEC, nous ne pourrions pas avoir cette politique car nous n’avons aucune aide supplémentaire. »
20000 euros pour 2 500 culottes distribuées par an
Pour l’université Paris Nanterre, l’heure est désormais au bilan. « On réfléchit au fait de conserver les tampons sans applicateur, peu utilisés contrairement aux tampons avec applicateur. On pense aussi mettre plus de serviettes à disposition parce qu’elles partent vite », précise Nicolas Bourbon. De quoi rééquilibrer les coûts.
Mais de leur côté, les étudiantes s’intéressent de plus en plus aux protections durables, plus écologiques et économiques à terme. Désormais, à chaque début de semestre, l’université Paris Nanterre propose donc une distribution de culottes menstruelles. Et là encore, l’initiative a un coût : 20 000 euros pour 2 500 culottes distribuées par an.
« L’étape suivante, ce serait de proposer des cups menstruelles mais se pose la question de l’adaptabilité des toilettes qui ne sont pas toujours en bon état, qui n’ont pas de lavabo… Donc il faut faire des tests. » À la Sorbonne, le service de santé universitaire a également organisé une journée de distribution de protections périodiques durables. « C’était assez visible dans l’université donc ça a créé un espace de discussion et c’est plutôt une bonne chose, mais ça reste ponctuel », regrette Manon.
En réalité, peu d’universités peuvent se permettre d’investir autant sur le sujet. Or, d’après l’Unef, en moyenne, une étudiante dépense 295 euros par an pour l’utilisation de protections périodiques. La question de la précarité menstruelle reste donc loin d’être réglée. Selon la Fage, la réponse doit être plus globale : « C’est indispensable de se saisir de cette question mais il faut se demander pourquoi : s’il y a une précarité menstruelle, c’est qu’il y a aussi une précarité étudiante. Il faut donc des réponses systémiques, des aides globales pour que les étudiants soient autosuffisants. » Le débat reste ouvert.