L’offre d’emploi aurait été inhabituelle : recherche employé, « temps plein », pour trier le courrier « deux fois par jour » et séparer les vraies lettres de celles de « fous qui écrivent ». C’est pourtant bien, soutient Louis Aliot mardi au procès du RN, le travail qu’effectuait pour lui son assistant parlementaire européen.
En juillet 2014, fraîchement élu député européen pour la première fois, l’actuel numéro 2 du Rassemblement national (ex-Front national), avait embauché comme assistant parlementaire Laurent Salles, auparavant employé au parti. Pourquoi lui ? Pourquoi sans même lui faire passer d’entretien ? s’étonne le tribunal. « On est au FN », répond Louis Aliot, 55 ans, étroit costume bleu pétrole sur le dos. « On me recommande quelqu’un qui est débrouillard, je le prends tel quel. »
Depuis le 30 septembre, les ex-eurodéputés et leurs assistants parlementaires (25 prévenus au total) défilent à la barre et leurs interrogatoires se ressemblent furieusement. Celui de Louis Aliot ne fait pas exception. L’enquête, résumée par le tribunal, n’a montré « aucune trace » d’un quelconque travail de Laurent Salles pour Louis Aliot. Relevé un « unique SMS » échangé en huit mois entre les deux hommes. Et noté une « galette des rois » partagée, lors d’un évènement dans la fédération de Laurent Salles où Louis Aliot était invité en tant que responsable du parti.
« Un travail assez simple »
À l’inverse, poursuit la présidente Bénédicte de Perthuis d’un ton un peu las, tout laisse à penser que Laurent Salles travaillait en réalité pour Yann Le Pen (sœur de Marine Le Pen), à l’organisation des grands évènements du parti. Cette dernière l’avait confirmé aux enquêteurs. « Je crois qu’il travaillait aussi un peu pour Louis Aliot, il faisait son courrier ou ses photocopies », avait-elle ajouté.
Pas du tout, rétorque Louis Aliot à la barre : « C’est moi qui donnais les consignes à Laurent Salles. » Pour quelles tâches ? « Un travail assez simple », explique sans ciller l’actuel maire de Perpignan : « le tri du courrier ». « Vous pensiez que ça allait l’occuper à plein temps ? », demande la présidente qui oscille au fil de l’interrogatoire de quatre heures entre amusement et profonde exaspération.
« C’était deux fois par jour », précise très sérieux Louis Aliot, avant de détailler longuement ce « tri » – qu’on aura « bien exploré dans toutes ses dimensions », ironisera la procureure Louise Neyton. Pour 2 560 euros par mois donc, Laurent Salles triait le courrier papier envoyé à Louis Aliot au siège du Front national. Il en écartait notamment les lettres de « tous les fous qui écrivent » – Louis Aliot a fourni des exemplaires au tribunal – et séparait les courriers « très techniques, très politiques » ensuite réaiguillés vers d’autres assistants parlementaires à Perpignan ou à Bruxelles, en fonction de leur objet.
« Synthèses orales »
S’il n’y a aucune trace de tout cela, demande la présidente en s’efforçant de garder son sérieux, c’est que Laurent Salles ne faisait que des « synthèses orales » de son travail à Louis Aliot, lors des passages de ce dernier au parti ? Le prévenu confirme. Et c’est Louis Aliot lui-même qui se chargeait ensuite « d’emmener le courrier » à Bruxelles ou à Perpignan ? « La plupart du temps, c’est comme ça que ça se passe », confirme-t-il.
Assis à côté, Laurent Salles, qui avait dit pendant l’enquête avoir découvert sa fonction d’assistant parlementaire « en recevant » son contrat, ne regarde jamais son ex-employeur. Joueur, l’avocat du Parlement européen (partie civile), Me Patrick Maisonneuve, demande : et à la fin du contrat de Laurent Salles, « qui s’est occupé du courrier ? »
Louis Aliot hésite. Après « le scandale » dit-il – « le début de l’enquête, vous voulez dire ? » rectifie Me Maisonneuve – il a été décidé de faire autrement. Le contrat de Laurent Salles s’était arrêté au bout de huit mois – « cela ne lui plaisait pas », explique Louis Aliot.
Il avait été directement embauché par une autre eurodéputée frontiste avant que cette dernière n’annule en catastrophe le contrat, l’enquête du Parlement européen sur les soupçons d’emplois fictifs au parti venant d’être rendue publique. Laurent Salles avait de nouveau été payé par le parti.
À son tour d’être interrogé. Laurent Salles s’avance à la barre et annonce : « Je souhaite exercer mon droit au silence. »