December 23, 2024
Life Style

« Il m’en faut tellement peu pour être dégoûté » : comment un simple tweet s’est transformé en #MeToo du DM


« Il m’en faut tellement peu pour être dégoûté, c’est effrayant. » Quand Madjara poste son message sur X (ex-Twitter), le 16 octobre, cette étudiante de 19 ans pense à « ces trucs gênants que font les hommes, des comportements, des petits gestes, des phrases ». Mais une semaine après, les « red flags » (ou mises en garde face à un comportement problématique, en français) ont laissé place à un flot de messages témoignant de la cyberviolence vécue par les femmes.

Si certaines internautes ont livré des anecdotes qui prêtent à sourire, d’autres – et elles sont très nombreuses – ont partagé des captures d’écran de leurs échanges sur les réseaux sociaux, par SMS ou sur les applications de rencontre avec des hommes, qui alternent entre sexisme, messages à caractère sexuels ou menaçants, appels au viol, hypersexualisation ou envoi de photographies non consenties.

« Sur Internet, les violences sont systémiques »

Il suffit de scroller sous le tweet initial, qui cumule désormais pas moins de 200 millions de vues, pour mesurer la grande violence des messages reçus par certaines femmes, dont des adolescentes parfois très jeunes. « Je vais te violer. Pardon. Mais c’est plus fort que moi », a par exemple reçu une utilisatrice alors qu’elle était encore collégienne. « Ça te gêne si on parle de sexe ? », a demandé un autre à une jeune fille, qui lui répond : « Oui un peu quand même, t’a 20 ans, j’en ai 13… ». « Tu te maquilles comme ça, je te viole », a quant à lui envoyé un lycéen à une jeune femme de 17 ans sur Snapchat.

Une sorte de « #MeToo des DM » qui n’étonne pas tant que ça Madjara : « Finalement, je ne suis pas si choquée. Parce que ce tweet met juste en lumière ce que vivent les filles sur Internet », réagit l’étudiante auprès du Parisien. « Il suffit de regarder le nombre de réponses pour se rendre compte qu’on vit malheureusement toutes la même chose sur les réseaux sociaux ou sur les applications de rencontre », déplore-t-elle.

Si ces messages sautent aux yeux, c’est « qu’ils sont un condensé de ce qu’il y a de pire », explique Laure Salmona, cofondatrice de l’association Féministes contre le cyberharcèlement. « Mais finalement, les cyberviolences contre les femmes, c’est un continuum des violences sexuelles et sexistes dans la société », ajoute-t-elle. « Ce qui étonnant, c’est que ça étonne encore les gens », estime de son côté Yasmine Buono, spécialiste de l’éducation numérique et des cyberviolences chez les jeunes. « Sur Internet, comme dans la vie, les violences contre les femmes sont systémiques », explique-t-elle.

Des adolescentes qui « grandissent » avec ces messages

Selon une étude pour l’association Féministes contre le cyberharcèlement, réalisée par l’Ipsos en 2021, près de la moitié des Françaises ont déjà été victimes de violences en ligne, que ce soit sur un réseau social, par SMS ou sur une messagerie instantanée. Parmi les 18-24 ans, elles sont 87 % à déclarer avoir connu une situation de cyberviolence.

Des violences que Laure Salmona compare au harcèlement de rue : « Cette visibilisation des cyberviolences, c’est un peu comme le harcèlement de rue il y a une dizaine d’années. D’un coup, certains découvraient un phénomène qui était vécu depuis toujours par l’ensemble des femmes. » Si la violence des messages reçus – et le volume partagé – choquent, c’est que certaines des destinataires sont de très jeunes adolescentes. Là encore, il suffit de scroller sous le tweet de Madjara pour découvrir des propos obscènes ou des appels au viol adressés à des filles de 13 ou 14 ans.

« Ce qui est alarmant, c’est qu’elles grandissent avec ça, elles reçoivent ce genre de messages quasi quotidiennement et souvent de la part d’hommes majeurs », s’alarme Yasmine Buono. « Si un homme de 30 ans demandait à une gamine de lui faire une fellation devant l’entrée d’un collège, ça choquerait, mais là, comme ce sont les réseaux sociaux, on ne fait rien », rappelle-t-elle. Pourtant « réprimées par la loi », ces propositions sexuelles adressées des mineurs « sont envoyées en toute impunité », déplore de son côté Laure Salmona.

« La violence, elle n’est pas uniquement virtuelle »

Ce « condensé du pire », comme l’appelle Laure Salmona, dit aussi beaucoup de la minimisation et de la banalisation des femmes elles-mêmes. « Le seul fait d’être une femme en ligne attire la violence. On est presque habituées, on a jamais connu un Internet sécurisé, alors on minimise, on banalise pour se protéger », analyse-t-elle.

Pourtant, ces messages sont loin d’être sans conséquences, rappellent les deux expertes. « On voudrait croire que ces violences, tant qu’elles restent sur le numérique, n’ont pas d’impact sur ces femmes. Mais la violence, elle n’est pas uniquement virtuelle », martèle Yasmine Buono.

Et si les messages sont si nombreux, c’est peut-être que les femmes « manquent d’espace socialement pour parler de ces cyberviolences », soulève Laure Salmona.

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