Des volutes de vapeur s’échappent d’immenses séchoirs qui s’étirent à la verticale dans le ciel. Dans l’enceinte des usines de Chaman Lal Setia Exports, l’un des plus gros exportateurs de basmati indien, la poussière de riz enveloppe l’atmosphère aux sons incessants des machines. Cette rizerie de Karnal, à 150 kilomètres au nord de New Delhi, transforme et emballe chaque jour 500 à 800 tonnes de riz basmati.
La plante récoltée dans les champs alentour subit ici toute une série de transformations et de polissage pour atteindre la perfection. Après une phase finale de triage mécanique, il ne doit rester que d’élégants grains de riz naturellement parfumés, tout en longueur, de couleur blanche ou crème, caractéristique du basmati. Les camions chargés filent ensuite pour acheminer la noble céréale vers les ports indiens, d’où elle sera envoyée dans plus de 80 pays : en Malaisie, aux Etats-Unis, en Israël, mais aussi en Europe.
Depuis des siècles, le basmati est cultivé dans la plaine indo-gangétique du sous-continent indien, partagée aujourd’hui entre l’Inde et le Pakistan. Les frères ennemis sont les deux seuls exportateurs mondiaux de la céréale. « Au fil des ans, beaucoup de variétés de basmati ont été créées afin d’améliorer la qualité du riz et de parvenir au résultat que nous avons aujourd’hui », explique Vijay Setia, directeur de Chaman Lal Setia Exports. L’Inde compte à elle seule trente-quatre variétés de basmati, contre vingt-quatre au Pakistan.
Une offensive commerciale
En 2018, alors que les exportations de basmati indien vers l’Union européenne (UE) baissent drastiquement à la faveur du Pakistan, New Delhi lance une offensive commerciale et hautement symbolique contre Islamabad. L’Inde dépose une demande d’indication géographique protégée (IGP) auprès de la Commission européenne afin d’obtenir l’usage exclusif du terme « basmati » dans l’UE.
Ce label permet de « mettre en évidence le lien entre la région géographique concernée et la dénomination du produit, lorsqu’une qualité particulière, une réputation ou d’autres caractéristiques sont essentiellement dues à l’origine géographique ». Un statut dont bénéficie le champagne et qui permet aux seuls producteurs de la région française d’utiliser ce nom, mais aussi de vendre leurs produits plus chers. Lorsque cette étiquette fut accordée au thé darjeeling en 2011, les prix ont grimpé en flèche.
L’Inde a été à l’avant-garde de la protection du basmati. A la fin des années 1990, une marque américaine avait tenté de déposer un brevet sur des variétés de riz dites « basmati » développées et cultivées au Texas. Les gouvernements indien et pakistanais s’y étaient opposés et avaient obtenu gain de cause. L’Inde a dès lors commencé à protéger le basmati. D’abord en délimitant dans le pays les contours des zones géographiques de production de ce riz parfumé, un préalable à la reconnaissance d’IGP auprès de l’UE. « Notre devoir est de protéger notre riz sur les marchés internationaux et le Pakistan aurait dû faire de même », fustige Ashok Kumar Singh, directeur de l’Indian Agricultural Research Institute. Islamabad, en retard sur son voisin, aura attendu 2021 pour établir la délimitation des zones géographiques de production du basmati.
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