A la fin des années 1980, un collectif d’habitants des bords de Loire s’oppose à l’ambitieux projet d’aménagement du dernier fleuve sauvage d’Europe. Cette mobilisation va devenir l’une des luttes environnementales majeures de la fin du XXe siècle, aujourd’hui un peu oubliée. Roberto Epple en a été l’un des acteurs. D’origine suisse, il travaillait pour l’organisation WWF lorsqu’il a été envoyé en Haute-Loire pour soutenir les premières contestations des habitants. Trente-cinq ans après, l’hydrobiologiste vit toujours dans la région, non loin du Serre de la Fare, le site de l’un des barrages abandonnés. Il est président de SOS Loire vivante, une association du Réseau des rivières européennes (European Rivers Network), une ONG engagée dans la préservation des fleuves.
Dans quel contexte le mouvement pour une Loire vivante est-il né ?
Dans les années 1980, quasiment tous les grands fleuves d’Europe sont aménagés. Des barrages y ont été construits pour réguler le débit de l’eau et produire de l’électricité. La pollution est omniprésente. Le Rhin et le Rhône, qui traversent des zones industrielles, sont à l’agonie. La Loire a échappé aux grands aménagements du fait de sa morphologie, qui ne se prête pas à la navigation ni à la construction de grands barrages électriques. Elle fait partie des rivières dont le régime varie selon les saisons. Elle peut modifier son cours, éroder ses berges, créer des îles de sable puis les déplacer.
Cette dynamique fluviale entraîne aussi une forte amplitude entre les débits. Elle est alimentée, non pas par la neige comme le Rhin et le Danube, mais par les pluies qui façonnent le fleuve et font monter l’eau en d’immenses crues cévenoles durant l’automne et le printemps. L’été, son lit est à sec. Cette particularité lui confère une place à part. Dans les milieux de l’hydrologie et de l’écologie à l’époque, la Loire est un symbole, le dernier fleuve resté sauvage en France et même en Europe, en tout cas beaucoup moins aménagé que les autres, et plutôt en bonne forme. Elle est reconnue comme un haut lieu de biodiversité.
Quels sont, à l’époque, les objectifs du projet d’aménagement du fleuve ?
Le projet est porté par l’établissement public pour l’aménagement de la Loire et de ses affluents, une institution très puissante politiquement, puisqu’elle réunit, à l’échelle du bassin, vingt-deux villes, seize départements et six régions. Révélé en 1985, son objectif est de réguler le débit du fleuve grâce à la construction de quatre grands barrages et autant de lacs artificiels.
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