« Pendant trop longtemps l’Europe n’a pas construit cette autonomie stratégique. Aujourd’hui, la bataille idéologique est gagnée. » Ces mots d’Emmanuel Macron dans Les Echos du 9 avril 2023 sont ceux d’un européiste convaincu. Le président de la République a souvent eu l’occasion d’affirmer sa volonté de voir le Vieux Continent jouer un rôle de tampon crédible entre les ogres américain et chinois. Cela ne peut se faire sans que l’Europe réduise sa dépendance à des ressources étrangères, ou sans pouvoir engager un rapport de force à son avantage dans des négociations tant diplomatiques qu’économiques et réglementaires.
L’Europe et la France sont bien présentes sur de nombreux fronts de la « reconquête » de l’autonomie stratégique : giga-usines de batteries électriques ou de microprocesseurs, réouverture de sites miniers, course à l’intelligence artificielle et implantation de mégaserveurs, relance du programme nucléaire… les projets abondent.
Mais la nature, le mode de sélection et de déploiement de ces projets ne sont pas sans rappeler une certaine conception centralisée, technocratique plus que démocratique, des politiques industrielles et d’aménagement du territoire décrites dans des domaines variés par des auteurs tels qu’André Gorz (Ecologie et politique, Seuil, 1978) et Timothy Mitchell (Carbon Democracy, La Découverte, 2013) ou, plus proches de nous, des historiens François Jarrige et Alexis Vrignon dans leur ouvrage Face à la puissance (La Découverte, 2020).
Certes, il est important de rappeler les avantages d’une organisation centralisée. Elle permet des économies d’échelle, un contrôle a priori simplifié, et un gain de temps dans l’installation et la maintenance des infrastructures sur lesquelles elle repose. Cependant, un des principaux impensés d’une telle orientation stratégique réside dans les risques nouveaux auxquels elle nous expose. Des risques bien peu compatibles avec les objectifs d’autonomie stratégique affichés. Nous en voyons au moins deux.
Le premier risque auquel nous expose un excès de centralisation concerne les attaques extérieures. Une infrastructure centralisée sera toujours une cible de choix – et visible – pour nos adversaires, que ce soit sur le terrain physique ou cyber. La décentralisation que permettent, par exemple, les petites unités de production d’énergie renouvelable dispersées sur le territoire amenuise ce risque et participe de la résilience en cas de conflit.
Phénomène de métropolisation
Il serait bon de s’en inspirer pour ce qui concerne à la fois le choix d’implantation et de dimension des infrastructures numériques, mais aussi dans le choix de leurs gestionnaires. Eviter de confier la gestion de ce type d’infrastructure hautement stratégique à des géants tels que Microsoft ou Amazon ne doit pas être vu comme une entorse à notre alliance objective avec les Etats-Unis, mais comme une volonté de préserver notre autonomie vis-à-vis de l’Oncle Sam. A plus forte raison si Donald Trump venait à être réélu.
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