Les politiques industrielles très offensives aux Etats-Unis et en Chine ne menacent pas seulement l’Europe d’un décrochage industriel. Elles exacerbent également la concurrence entre Etats européens, faisant apparaître des divergences d’intérêts de plus en plus marquées, dont les conséquences vont affecter directement les tissus productifs nationaux.
Ces antagonismes ne sont pas nouveaux. Les années 2000 ont été le théâtre de très forts déséquilibres intraeuropéens, avec d’un côté les excédents extérieurs record allemands, et de l’autre les déficits français. Ces déséquilibres ont été nourris par des politiques macroéconomiques différentes, l’Allemagne comprimant sa demande pendant que la France menait des politiques plus expansionnistes.
Si ces dernières sont bénéfiques à court terme, elles sont difficilement tenables lorsque notre principal partenaire commercial fait l’inverse. D’autant que la monnaie unique a supprimé les mécanismes d’ajustement qui existaient auparavant (les dévaluations), créant l’illusion que l’économie française fonctionnait en économie fermée. La France a ainsi pu mener des politiques expansionnistes sans se soucier des déficits extérieurs qui s’accumulaient et paraissaient indolores… alors que notre désindustrialisation s’accélérait.
Une solution paraissait s’imposer dans les années 2010 pour sortir de cette impasse et soulager nos exportateurs : un rééquilibrage de la demande au sein de la zone euro par une relance allemande (durablement) plus forte que celle de la France. Mais c’était compter sans la priorité donnée à la compétitivité industrielle au cœur du modèle de croissance allemand depuis plus de cinquante ans, passant par la compression de la demande. Se bercer de l’illusion d’une relance outre-Rhin, c’est prendre le risque d’entretenir le cercle vicieux français où déficits extérieurs et désindustrialisation se nourrissent mutuellement.
Jeu non coopératif
A ces divergences macroéconomiques s’ajoutent aujourd’hui les répercussions de la guerre économique entre la Chine et les Etats-Unis sur le continent européen. Elle exacerbe les différences d’intérêts entre les pays européens, et la tentation pour chacun de mener des politiques non coopératives. Le secteur de la voiture électrique en est devenu le symbole. Un front commun permettrait une réponse coordonnée face à des véhicules chinois dopés par des subventions à tous les niveaux de la chaîne de production.
A la place prévaut un jeu non coopératif, où les Etats européens se livrent à une concurrence intense pour attirer les investisseurs et bénéficier des créations d’emploi qui accompagnent l’implantation de sites industriels. L’objectif est de pouvoir, grâce à ces investissements, générer de véritables écosystèmes productifs sur ces territoires, et donc de créer de la valeur, de l’innovation et plus d’emplois encore. La Chine se trouve ainsi doublement gagnante : non seulement les Etats européens divisés se neutralisent sur la réponse à apporter aux subventions chinoises, mais les constructeurs chinois obtiennent des subventions pour s’implanter sur le sol européen, ce qui affaiblit encore plus nos constructeurs.
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